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France > Administration
http://www.archivesnationales.culture.gouv.fr/camt/fr/se/fiche1/fiche1-1.html
Un professeur suspendu
dix-huit mois pour "non-respect des élèves"
Le Monde
Anne Ghiringhelli
7.5.2005
La sanction d'un enseignant de l'Isère, Alain Roche, pour
"non-respect des élèves et non-respect du devoir de réserve" , a provoqué de
vives réactions des syndicats. Le conseil de discipline de l'académie de
Grenoble, qui l'a entendu le 5 avril, lui a infligé une mise à pied de dix-huit
mois, dont six mois sans traitement, assortie d'une période de surveillance de
cinq ans.
Six organisations d'enseignants FO, l'UNSA, la FSU, le SGEN-CFDT,
SUD-Education ainsi qu'un syndicat local, Pour une alternative syndicale (PAS)
jugent "disproportionnée" la sanction. Ils ont demandé sa levée, mercredi 4 mai,
dans un courrier adressé à l'inspecteur d'académie.
M. Roche, qui enseigne au collège Le Vergeron de Moirans (Isère) dans des
sections d'enseignement général et professionnel adapté (Segpa), destinées aux
élèves en grande difficulté, a notamment reconnu avoir dit "Arrête de faire le
singe" pour exhorter au calme un élève d'origine africaine. Une simple
"maladresse" , pour Rémi Goube, de l'Autonome de solidarité, organisme qui
assure l'accompagnement juridique des enseignants.
"ÉLEVAGE DE PORCS"
Mais, selon l'inspecteur d'académie, Jacques Aubry, ce ne sont
pas ces propos qui sont en cause. "Ils ne figurent pas dans le dossier,
affirme-t-il. En revanche, j'ai les conclusions de l'inspectrice de l'éducation
nationale qui a entendu les enfants, ainsi que des rapports rédigés par le
principal du collège de Moirans, par son adjoint et par le conseiller principal
d'éducation."
Le conseil de discipline aurait également évoqué deux affiches, retrouvées sur
la porte de la salle de classe de M. Roche et sur lesquelles il aurait été écrit
: "Zoo de Moirans : entrée un euro" et "Elevage de porcs" . Mais il a préféré
laisser à la justice le soin d'élucider l'accusation de "xénophobie et racisme"
, estimant que les preuves n'étaient pas suffisamment nombreuses. Un signalement
a été effectué auprès du parquet de Grenoble, qui a ouvert une enquête
préliminaire.
Les syndicats arguent de "l'insuffisance de l'enquête" . "Elle a été menée
auprès de seulement sept élèves, alors que M. Roche en encadre une quarantaine.
De plus, ils ont été entendus en présence du principal" , s'indigne Anne
Tuaillon, secrétaire départementale du SNUipp, syndicat majoritaire chez les
enseignants du premier degré. Elle remet par ailleurs en cause le conseil de
discipline : "Les membres de ce conseil, dont je faisais partie, ont siégé douze
heures d'affilée ce jour-là."
L'inspecteur d'académie admet que "les avis étaient très partagés" . "Mais nous
avons pris une décision qui n'est absolument pas exceptionnelle. Le même jour,
un autre professeur a été mis à pied pour un an par ce même conseil" , ajoute M.
Aubry.
Mme Tuaillon pointe du doigt la procédure : "L'inspecteur d'académie se fait à
la fois avocat général et juge." Ce point a d'autant plus d'importance, selon Me
Jean-Yves Balestas, l'avocat de M. Roche, qu'"un différend avait déjà opposé
l'enseignant à l'inspection académique, il y a quelques années" .
En 2001, M. Roche, alors enseignant détaché chargé de l'organisation
informatique dans les écoles, avait écrit un mail privé, très critique, sur
l'inspection académique de Grenoble. Ce message avait été reçu par l'inspection,
qui avait nommé d'office M. Roche à Moirans. En novembre 2004, le tribunal
administratif avait ordonné sa réintégration dans ses fonctions précédentes.
Mais l'enseignant avait décidé de finir au collège l'année scolaire entamée. M.
Aubry réfute l'hypothèse d'une corrélation entre les deux affaires : "A
l'époque, je n'occupais même pas les fonctions d'inspecteur d'académie."
Me Balestas a fait savoir qu'il avait saisi la commission supérieure de la
fonction publique, à Paris, et qu'il allait faire appel de la décision du
conseil de discipline devant le tribunal administratif de Grenoble.
Anne Ghiringhelli, Le
Monde, 7.5.2005,
http://www.lemonde.fr/web/article/0,1-0@2-3226,36-646862@51-628807,0.html
Le médiateur de la République
fait le constat d'une société "inquiète"
Le Monde
Jean-Baptiste de Montvalon
7.5.2005
Lui qui avait placé sa carrière au service du chef de l'Etat
est désormais au chevet des citoyens. Nommé médiateur de la République en avril
2004, Jean-Paul Delevoye est chargé, depuis cette date, d'intervenir dans les
litiges opposant les particuliers ou les personnes morales à une administration,
un service public ou une collectivité locale. De quoi, pour l'ancien ministre
(UMP) de la fonction publique, prendre la mesure du désarroi de bon nombre de
ses concitoyens.
Le premier rapport annuel que M. Delevoye a remis à Jacques Chirac, mercredi 4
mai, témoigne de l'importance croissante de sa fonction, créée en 1973.
L'institution a reçu 56 971 affaires en 2004, soit une progression de 2,4 % par
rapport à 2003. Les demandes d'information et d'orientation (28 299) ont été
moins nombreuses que l'an passé. Mais le nombre de réclamations demandes
mettant en cause le fonctionnement d'un service public a grimpé en flèche : 28
672, soit 9,5 % de plus. Le rapport note "la part croissante des dossiers
afférents à des questions sociales (27,8 % du total) et aux questions
judiciaires ou afférentes à la nationalité (23,1 %)" .
DES PRÉJUDICES IMPORTANTS
Relevant que "de plus en plus souvent, le médiateur est saisi
en premier lieu plutôt qu'en dernier recours" , M. Delevoye y voit "le signe
d'une montée des inquiétudes et d'une détérioration de la confiance qu'on avait
en les pouvoirs publics et en la justice" . Ce gaulliste à la fibre sociale fait
le constat d'une société "inquiète et incertaine des valeurs qui sont les
siennes" .
Son rapport regorge d'exemples de malentendus ayant abouti à des préjudices non
négligeables. En voici quelques exemples. "Monsieur L." a été verbalisé en mai
2003 alors qu'il stationnait sur un emplacement réservé aux véhicules de grands
invalides. Motif invoqué : le macaron GIG-GIC apposé sur son pare-brise n'était
pas conforme. Il était, en fait, toujours valable.
"Monsieur et Madame R." ont perdu leur fils en 1987, dans un accident de
voiture, alors qu'il conduisait un véhicule militaire. Après dix ans de
procédure judiciaire au terme de laquelle fut prononcée la nullité du contrat
d'assurance du véhicule, le ministère de la défense, qui avait pris en charge
différents frais à la suite de l'accident, a tenté de recouvrer son "préjudice"
, estimé à plus de 46 000 euros.
"Madame C." , dont les salaires d'employée de maison avaient été versés à la
Ddass, chargée de les déposer sur un compte épargne afin que l'intéressée puisse
en disposer à sa majorité, affirme que ces sommes ne lui ont jamais été
restituées. Sollicitant, en 2003, un extrait d'acte de naissance pour constituer
son dossier de retraite, "Madame T." s'est aperçue qu'il portait la mention
"décédée le 5 octobre 1996" . Toujours sans nouvelle de sa demande de
rectification quatre mois après avoir saisi le procureur de la République de
Nantes, elle s'est tournée vers le médiateur de la République.
Ceux-là ont obtenu gain de cause. Selon le rapport du médiateur, près de 80 %
des tentatives de médiation qui ne concernent qu'une partie des dossiers
instruits ont été couronnées de succès.
21 PROPOSITIONS DE RÉFORMES
L'activité du médiateur ne s'arrête pas au règlement de ces
contentieux. Une affaire individuelle révélant souvent un dysfonctionnement
d'ordre général, il peut suggérer des réformes susceptibles d'y remédier.
Selon le rapport, le médiateur a obtenu satisfaction, en 2004, sur dix-sept
propositions de réforme. Elles concernent les registres les plus divers, comme
le droit de vote et d'éligibilité dans les conseils d'établissement scolaire, ou
l'harmonisation des intérêts de retard en matière fiscale.
Le médiateur doit savoir patienter : il fallut à cette institution treize ans de
persévérance pour obtenir la suppression de la règle de l'établissement le plus
proche en matière de remboursement de frais d'hospitalisation... De nombreuses
propositions de réforme formulées par le médiateur n'ont toujours pas été
suivies d'effet. Il en est ainsi du souhait de voir supprimer l'évaluation
forfaitaire des ressources des non-salariés pour le calcul de certaines
prestations sociales.
M. Delevoye a soumis 21 nouvelles propositions de réforme aux pouvoirs publics
en 2004. Il suggère notamment de supprimer le seuil de 24 euros par mois en deçà
duquel l'administration ne verse pas leurs allocations aux bénéficiaires
potentiels. D'autres propositions concernent la simplification de la procédure
de demande de francisation des prénoms ; l'obligation, pour les caisses
d'assurance-maladie, de rembourser les soins prodigués à leurs assurés en voyage
à l'étranger ; ou le versement de l'allocation de cessation anticipée d'activité
à toutes les victimes d'une maladie professionnelle liée à l'amiante.
Plus discrètement, le médiateur s'interroge sur l'opportunité de maintenir la
procédure de saisine indirecte de son institution. La loi de 1973 impose aux
citoyens de lui transmettre leurs réclamations par l'intermédiaire d'un
parlementaire. La France est, avec la Grande-Bretagne, le dernier pays européen
à conserver ce filtre.
Jean-Baptiste de
Montvalon, Le Monde, 7.5.2005,
http://www.lemonde.fr/web/article/0,1-0@2-3226,36-646859@51-646967,0.html
La grogne des profs monte contre leurs
«petits chefs»
Inspecteurs,
chefs d'établissement et formateurs
n'ont jamais été aussi critiqués.
Dangereux pour la mise en oeuvre de la loi
Fillon.
Par Emmanuel DAVIDENKOFF
mardi 16 novembre 2004
Libération
C'est le carburant de la colère ; le fiel dans les rouages. Si
les relations entre enseignants et les «cadres intermédiaires» de l'Education
nationale (inspecteurs, chefs d'établissement, formateurs) n'ont jamais été
simples, elles semblent plus dégradées que jamais. De mauvais augure à l'orée
d'une nouvelle loi qui sera révélée jeudi par François Fillon dans l'émission
100 minutes pour convaincre (France 2) : c'est à ces cadres qu'il revient de
porter la bonne parole ministérielle sur le terrain.
Sur le papier, l'organisation de la Grande Armée de l'éducation est simple : une
petite équipe de maréchaux (le ministre, son cabinet et les directions
centrales), des recteurs en guise de préfets de région (ils en ont le rang), des
capitaines pour «animer» le terrain (les cadres intermédiaires) et des centaines
de milliers de grognards (enseignants et personnels d'éducation). Mais ici,
quand le trompette sonne la charge, la troupe peut se rebiffer sans trop de
conséquences qu'elle juge qu'il joue faux, que l'air ne lui plaise pas ou
qu'elle préfère le basson. Pourtant, depuis quelques années, les aigres
témoignages d'enseignants se multiplient sur ces «petits chefs» qui leur
pourriraient la vie et leur ôteraient jusqu'au goût d'enseigner.
URSS de Staline. Le site web de l'association Sauver les lettres regorge
de ces témoignages (1). C'est cet enseignant pour qui «l'infantilisation et la
culpabilisation systématique exercées par certains cadres» expliquent que
certains professeurs soient «plombés par la honte et un sentiment confus de
culpabilité». C'est «une incompétence qui crève les yeux», dénoncée quand
l'opposition à une réforme est vécue, par tel enseignant, comme «un délit
d'opinion» (ici, la plume ourle régulièrement des métaphores comparant
l'Education nationale à l'URSS de Staline ou au Cambodge de Pol Pot). C'est un
attachement viscéral à la «liberté pédagogique» de l'enseignant : «Je lis les
instructions officielles, je les passe au filtre de mon bon sens, de mon esprit
critique et de mon expérience, et je transpose pour que mes élèves en retirent
le plus de profit possible» (une professeure de lettres). C'est surtout une
lassitude extrême face aux innovations qui se succèdent, se contredisent et
posent plus de problèmes qu'elles n'en résolvent. Une enseignante en témoigne au
sortir d'une conférence animée par un inspecteur : «Il a été dit qu'il fallait
abandonner la photocopieuse, les fichiers, tout le matériel "pédagogiste" que
l'on nous a incités à consommer à grands frais dans les écoles depuis trente
ans. (...) Bien entendu, à aucun moment, il n'a été admis, humblement, les
erreurs des décideurs depuis trente ans.»
Dans le primaire, l'ire porte surtout sur les inspecteurs de l'Education
nationale. Ils constituent le niveau hiérarchique immédiatement supérieur,
puisque les directeurs d'école n'ont aucun pouvoir sur les enseignants. Et ils
sont relativement plus présents que dans le secondaire (fréquence moyenne des
inspections : quatre ans, contre huit ans). Dans le secondaire, les chefs
d'établissement sont également montrés du doigt. Dans les deux cas, les
formateurs des instituts universitaires de formation des maîtres (IUFM) font
aussi les frais de la colère, coupables de s'être vendus dès l'origine aux
«pseudo-sciences de l'éducation» et à leur «jargon».
Pourtant, dans les faits, rien n'oblige un enseignant à obéir. Une fois refermée
la porte de la classe, sa liberté reste entière. L'Education nationale a affirmé
que 95 % des heures dévolues aux travaux personnels encadrés (TPE) en classe de
terminale étaient détournées en «séances de bachotage» (quand bien même le
chiffre réel serait inférieur, il n'est pas nul). De nombreuses décisions
s'ensablent ainsi. Autre exemple ? La politique des cycles à l'école primaire
décidée en 1989, appliquée ici, zappée ailleurs. Encore un exemple, par
l'absurde ? Quand l'instituteur Marc Le Bris charge baïonnette au canon contre
les méfaits de la méthode globale d'apprentissage de la lecture, il explique
que, pour sa part, il a continué à appliquer une autre méthode (la
«syllabique»), qui lui semble beaucoup plus efficace. On le lui a vertement
reproché. Ça ne l'a pas empêché de continuer (2). «Certains inspecteurs sont
plus autoritaires que d'autres. Ils ne vivent pas avec les enseignants et ne
doivent pas les ménager ! Mais cela ne garantit en rien que les instructions
seront suivies», explique un inspecteur. Quant aux dizaines de milliers de pages
noircies par les inspecteurs à la suite de leurs visites de terrain, elles
dorment au ministère.
«Question angoissante». Pourtant, la nasse serait bien en train de se
refermer sur les enseignants, notamment dans le secondaire. Les années 80 ont
apporté la décentralisation, l'autonomie des établissements, les projets
d'établissement; et les années 90, la déconcentration. Résultat, «la distinction
entre administration et pédagogie s'est érodée, relève un inspecteur général.
Les enseignants ont dû troquer un pouvoir fort mais lointain les inspecteurs
généraux contre un pouvoir proche, pas forcément plus efficace, mais plus
menaçant celui des chefs d'établissement». Ces derniers assistent désormais à
certaines inspections, sont interrogés sur l'implication de leurs enseignants
(notamment pour le passage à la «hors classe», le grade le plus élevé)... Autre
nouveauté : l'inspecteur, au lieu de s'asseoir au fond de la classe pour
vérifier que l'enseignant oeuvre selon la norme du moment, s'assiérait de plus
en plus souvent face aux élèves pour observer leurs réactions. «La question
implicite, qui peut angoisser, est : "Est-ce que l'enseignement est efficace?"»
décrypte cet inspecteur général.
D'où les réticences du corps enseignant face à l'idée de donner plus d'autonomie
aux établissements ou d'entrer dans des fonctionnements contractuels, qui
rapprocheraient encore le pouvoir du terrain et signeraient la fin de la
«liberté pédagogique». François Fillon les a entendus jusque-là et a multiplié
les mesures visant à leur (re)donner du pouvoir : légitimation de la punition
collective, doublement du nombre de profs dans les conseils de discipline, etc.
D'ici à jeudi et l'annonce des grands points de sa loi, le ministre devra
choisir entre la poursuite de cette ligne, au risque de se priver du peu
d'outils de pilotage dont dispose le ministère ; ou rendre de l'autorité aux
corps intermédiaires, au risque de se couper d'une partie significative (et
tumultueuse) de l'opinion enseignante. Tenter la synthèse s'apparenterait, en
l'état, à un marché de dupes.
(1) www.sauv.net
(2) in Et vos enfants ne sauront ni lire, ni compter (Stock).
Source :
http://www.liberation.com/page.php?Article=254268
Balzac > Les Employés
"Autrefois, sous la monarchie, les armées bureaucratiques n'existaient point.
Peu nombreux, les employés obéissaient à un premier ministre toujours en
communication avec le souverain, et servaient ainsi presque directement le roi.
Les chefs de ces serviteurs zélés étaient simplement nommés des premiers
commis. Dans les parties d'administration que le roi ne régissait pas
lui-même, comme les Fermes, les employés étaient à leurs chefs ce que les commis
d'une maison de commerce sont à leurs patrons : ils apprenaient une science qui
devait leur servir à se faire une fortune. Ainsi, le moindre point de la
circonférence se rattachait au centre et en recevait la vie. Il y avait donc
dévouement et foi. Depuis 1789, l'Etat, la patrie si l'on veut, a
remplacé le Prince. Au lieu de relever directement d'un premier magistrat
politique, les commis sont devenus, malgré nos belles idées sur la patrie, des
employés du gouvernement ; leurs chefs flottent à tous les vents d'un
pouvoir qui ne sait pas la veille s'il existera le lendemain et qui s'appelle
le Ministère.
Le courant des affaires devant toujours s'expédier, il surnage une certaine
quantité de commis qui se sait indispensable quoique congéable à merci et qui
veut rester en place. La bureaucratie, pouvoir gigantesque mis en mouvement par
des nains, est née ainsi. Si en subordonnant toute chose et tout homme à sa
volonté, Napoléon avait retardé pour un moment l'influence de la bureaucratie,
ce rideau pesant placé entre le bien à faire et celui qui peut l'ordonner, elle
s'était définitivement organisée sous le gouvernement constitutionnel,
nécessairement ami des médiocrités, grand amateur de pièces probantes et de
comptes, enfin tracassier comme une petite bourgeoise. Heureux de voir les
ministres en lutte constante avec quatre cents petits esprits, avec dix ou douze
têtes ambitieuses et de mauvaise foi, les Bureaux se hâtèrent de se rendre
indispensables en se substituant à l'action vivante par l'action écrite, et ils
créèrent une puissance d'inertie appelée le Rapport. Expliquons le Rapport.
Quand les rois eurent des ministres, ce qui n'a commencé que sous Louis XV, ils
se firent faire des rapports sur les questions importantes, au lieu de tenir,
comme autrefois, conseil avec les grands de l'Etat. Insensiblement, les
ministres furent amenés par leurs Bureaux à faire comme les rois. Occupés de se
défendre devant les deux Chambres et devant la cour, ils se laissèrent mener par
les lisières du rapport. Il ne se présenta rien d'important dans
l'administration, que le ministre, à la chose la plus urgente, ne répondît : -
J'ai demandé un rapport. Le rapport devint ainsi, pour l'affaire et pour le
ministre, ce qu'est le rapport à la Chambre des Députés pour les lois : une
consultation où sont traitées les raisons contre et pour avec plus ou moins de
partialité ; en sorte que le ministre, de même que la Chambre, se trouve tout
aussi avancé avant qu'après le rapport. Toute espèce de parti se prend en un
instant. Quoi qu'on fasse, il faut arriver au moment où l'on se décide. Plus on
met en bataille de raisons pour et de raisons contre, moins le jugement est
sain. Les plus belles choses de la France se sont faites quand il n'existait pas
de rapport et que les décisions étaient spontanées. La loi suprême de l'homme
d'état est d'appliquer des formules précises à tous les cas, à la manière des
juges et des médecins. Rabourdin s'était dit : On est ministre pour avoir de la
décision, connaître les affaires et les faire marcher. Et il voyait le rapport
régnant en France depuis le colonel jusqu'au maréchal, depuis le commissaire de
police jusqu'au roi, depuis les préfets jusqu'aux ministres, depuis la Chambre
jusqu'à la loi. Tout commençait à se discuter, se balancer et se contre-balancer
de vive voix et par écrit, tout prenait la forme littéraire. La France allait se
ruiner malgré de si beaux rapports, et disserter au lieu d'agir. Il se faisait
en France un million de rapports écrits par année ; aussi la bureaucratie
régnait-elle ! Les dossiers, les cartons, les paperasses à l'appui des pièces
sans lesquelles la France serait perdue, la circulaire sans laquelle elle
n'irait pas, fleurissaient. La bureaucratie commençait à entretenir à son profit
la méfiance entre la recette et la dépense, elle calomniait l'administration
pour le salut de l'administrateur. Enfin elle inventait les fils lilliputiens
qui enchaînent la France à la centralisation parisienne, comme si, de 1500 à
1088, la France n'avait rien pu faire sans trente mille commis."
Source :
http://www.ebookslib.com/paysystems/sendbook.php?f=Acrobat&book=2781
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